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Les Poules de Raymonde

image Lorsqu’il n’y eut plus dans le hameau que des estivants ornant chemins et devants de portes de fleurs dont l’entretien, grâce à la toute nouvelle adduction d’eau, n’avait plus de connotation sacrilège, les poules, compagnes habituelles de l’environnement rural, furent proscrites. Leurs déjections de même que leur voracité les rendirent interdites de séjour, sans parler du chant par trop matinal de leur seigneur et maître, que plus personne ne voulait entendre.
Les chemins aseptisés, et bientôt goudronnés, auxquels l’éclairage public avait ôté une partie de leur mystère, gagnèrent l’appellation de rues, et l’ombre rafraîchissante du grand tilleul devint la confidente des propos échangés les après midi d’été.
Seuls, les moutons et leurs sonnailles aigrelettes eurent, durant la belle saison, droit de cité, et encore, de l’autre côté de la route. Le hameau, devenu ainsi village, par l’apport de la civilisation, se vit doté, en sus, d’une cabine téléphonique, et puis peu à peu de téléphones privés.
L’éclairage public, quant à lui, allongea sa fonction dans la durée : initialement prévu pour ne fonctionner que la première partie de la nuit, il en vint à jouer pour toutes les heures nocturnes son rôle de pourchasseur d’obscurité. Et si quelques habitants se sentirent privés de la contemplation de la voûte céleste fourmillant d’étoiles, le village y prit une allure de carte postale qui restituait à ses vieilles pierres ocrées leur plus bel effet.
Cette avancée du modernisme eut pour résultat de voir s’instaurer une réoccupation permanente de certaines maisons, tandis que d’autres se préparaient à accueillir leurs futurs résidents.
Toutefois, chaque fois que l’homme décide de s’enraciner quelque part, et notamment dans le monde rural, il recourt d’instinct aux pratiques ancestrales de culture et d’élevage. Les nouveaux habitants donc, s’employèrent à « faire venir », selon l’expression consacrée, un jardin, et celui de Raymonde, grâce aux soins méticuleux qu’elle lui prodiguait, « vint » bien. Cependant, il ne satisfit plus bientôt, à lui seul, ses aspirations paysannes. Aussi vit-on un jour un enclos grillagé s’installer en bout de terrain, bientôt suivi d’une cabane. Puis un matin, elles furent là, toutes cinq, rousses et caquetantes. Les poules étaient revenues !

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Leur installation se fit en douceur et de façon très discrète, il n’empêche que le village y gagna en authenticité, et que les heures claires de la matinée furent désormais rythmées du chant triomphal des pondeuses.
Bientôt, tout le hameau participa à leur bien être : on apporta chez Raymonde les feuilles de salades peu tendres ou trop vertes, et cela surtout l’été, quand l’herbe des prés se fait chaume ; on mit de côté, à leur intention, les écorces de melon et leurs graines, ainsi que les restes de pain rassis ; très vite, les nouvelles arrivantes sentirent qu’elles étaient acceptées.
Mais, quand quelqu’un parla d’offrir un galant à ces belles, les craintes se réveillèrent ; pour certains, ce fut celle d’un réveil au lever du soleil que ne manquerait pas de saluer fatalement son plus fidèle serviteur ; pour d’autres, qui s’étaient laissé dire que quelques coqs, en été, chantaient même la nuit, ce fut la perspective de sommeils entrecoupés qu’ils redoutaient.
Heureusement, et pour le bonheur de tous, Raymonde eut soin de choisir un volatile à la voix éraillée, et prit la peine de l’enfermer le soir dans une cabane imperméable aux rayons solaires. De cette façon, soit notre Chante clair s’égosillait à une heure décente, soit sa voix trop enrouée ne pouvait réveiller les dormeurs. Seuls y perdaient les lève tôt qui auraient aimé voir saluer l’apparition de l’astre diurne de plus éclatante façon.

De fait, ce Don Juan dont le plumage surpassait en magnificence la voix, devint à l’évidence le plus bel ornement du poulailler.
Et il tint à la perfection son rôle de chef de harem, car, oûtre le fait qu’il honorait scrupuleusement chacune de ses compagnes, il protégeait de leur furie jalouse toute nouvelle arrivante. Il put ainsi bientôt se glorifier d’une importante cour qu’il régentait à la perfection. A tel point qu’il en vint à n’admettre aucun intrus sur son territoire. Il en devint agressif, voire méchant. Et tout le monde sait bien qu’il n’ait pire danger dans un poulailler clos que l’attaque d’un coq hargneux les ergots en avant !
Bientôt, la collecte des œufs ne put se faire que la main armée d’un solide bâton pour tenir à distance le belliqueux animal, si bien qu’un jour la patience de Raymonde fut à bout : elle le menaça tout d’abord d’un avenir bien sombre, puis devant la persistance de son arrogance, elle mit à exécution ses menaces pour qu’arrive le jour où notre déplorable chanteur devienne un délicieux coq au vin.
Les poules s’accommodèrent tant bien que mal de leur veuvage ; l’astre solaire, bien qu’il ne fût plus salué, ne s’en leva pas moins tous les matins ; seuls, quelques nostalgiques regrettèrent le piètre célébrant du renouveau quotidien de la lumière.

***

Un, toutefois, qui aurait du se réjouir pleinement de la disparition du volatile, était sans conteste, maître goupil le renard.
Mais n’anticipons pas !
Nul n’ignore bien sûr, que les goupils, rusés chapardeurs, demeurent la terreur des poulaillers, car, l’attrait irrésistible que représente une volaille dodue, est capable de leur faire inventer mille tours pour l’attraper.
De fait, depuis la désertification de nos campagnes, notre Goupil en question s’était vu contraint de se rabattre sur les mulots perdreaux et autres lapereaux qui fournissaient l’ordinaire de ses repas. Or, le gibier se faisant de plus en plus rare, ses semblables, pour la plus part, avaient migré vers des régions plus prometteuses. Ne restait donc sur le territoire et au lieu bien nommé du Roube du renard, qu’un vieux rusé de Goupil appelé Sostène que son âge avancé et son amour du Causse avaient contraint à une certaine sédentarité.
Qu’irait-il faire ailleurs ? Ici, il avait ses habitudes ; d’ailleurs, sa famille n’occupait-elle pas ce terrier de génération en génération ? A son âge, il vivait de peu et le menu gibier qui hantait encore le territoire lui suffisait amplement !
Bien sûr, du temps qu’il était jeune, il avait adoré faire la chasse aux poulaillers : rien n’était plus excitant que de se tapir à l’abri dans les fourrés pour faire l’examen de la situation : d’abord, choisir la proie, la plus grasse et en savourer à l’avance la chair juteuse, ensuite, le désir aidant, imaginer les différentes façons de s’en emparer .
Parfois, il fallait des jours et des jours de jeûne et d’attente avant que l’occasion favorable ne se présente, or il était patient, et la faim attisait le désir ! Mais, les poulaillers avaient peu à peu disparu et avec eux s’en était allé le plaisir de la bonne chère : il ne mangeait plus que pour la survie !
Aussi, lorsqu’un bon matin le vent du sud apporta jusqu’à son terrier l’odeur des poules, il n’en crut pas ses narines, et quoique perclus de rhumatismes ( le vent du sud à cause de l’humidité dont il est chargé malmène toujours les vieilles articulations ! ) n’en quitta pas moins sa demeure, guidé par l’alléchant fumet.
Eh quoi ! Ce hameau perdu renaîtrait donc à la civilisation ? On y élèverait des poules !
Quittant le Roube, il prit par la Cisternette, contourna le Pioch, traversa les champs cultivés et atteint la Paro. Et là, il les entendit ! Non, non, son vieux nez ne l’avait pas trompé, les poules étaient bel et bien revenues ! Il leva le museau et huma longuement le vent ; mais il ne décela aucune trace de son ennemi héréditaire : le chien.
La chance serait-elle avec lui ?
Il rampa doucement dans les taillis pour approcher et voir. Et ce qu’il vit le remplit de joie : elles étaient là, huit, rousses et dodues, dans un enclos, qui, lui semblait-il, ne paraissait pas infranchissable.
Bien sûr, il sentait la présence des hommes, de même qu’il remarquait que les fenêtres de la maison qui devait les abriter donnaient sur le jardin et de ce fait sur le poulailler. Il lui faudrait surveiller, voilà tout, et décider du bon moment. Mais le malheureux, tout à la joie de sa découverte, avait omis de s’interroger sur la présence d’un coq susceptible de défendre la basse cour. Or, notre irascible chante clair, était, au moment où se situe l’histoire, encore de ce monde, comme nous allons le voir.

***

Raymonde vint à son heure habituelle faire la collecte des œufs et ne remarqua rien d’anormal. Sostène était rusé, les poules stupides, et notre fermière confiante. Dés qu’elle fut partie, le renard commença les travaux d’approche : il rampa sur le ventre sans faire crisser la moindre brindille sans que les feuilles des taillis esquissent le moindre frémissement. Il fut bientôt tout prés de la clôture, derrière le cabanon, et s’aperçut alors que le grillage mal accroché au coin gauche de l’enclos laissait un interstice. Oh, le trou n’était pas bien large, mais pour un animal qui comme lui ne mangeait pas toujours à sa faim, il était plus que suffisant. Il engagea donc la patte avant, puis l’épaule, le reste du corps suivit. Alors sans peine et il contourna la cabane. Prudent, il s’arrêta à l’angle, afin d’être sûr qu’on ne l’avait pas aperçu ; sa halte lui permit également de faire le choix ; sa victime repérée, il attendit qu’elle passe à sa portée pour se précipiter dessus. Préférant la saisir par l’arrière il la laissa passer devant lui et se débusqua brusquement pour bondir et se trouver… nez à bec avec notre chante clair.
L’un ne fut pas plus surpris que l’autre et tous deux firent marche arrière. Cependant la jeunesse du coq et sa hargne jouèrent en sa faveur. Il se rua sur son ennemi les ergots en avant vociférant de toute la puissance de sa voix. Sostène recula pour déjouer l’attaque, et il allait feinter et se saisir du volatile quand il entendit des voix : on venait au secours du stupide animal. Il eut juste le temps de se faufiler par le trou du grillage et put ainsi gagner sans encombre la sûreté des taillis, puis de là les champs et retrouver la sécurité de sa tanière.
Il s’en voulut de n’avoir pas, dans son désir d ‘assouvir sa gourmandise, soupçonné la présence du coq. Il vieillissait et venait pourtant d’agir avec la légèreté d’un renardeau. Toutefois ce n’était que partie remise : il reviendrait…
Du côté des humains, on s’était ému du raffut mené par le coq et l’on était venu voir. Bien entendu, chante clair, mal remis de ses émotions et de sa colère, les plumes gonflées, les ergots en avant, et les ailes brassant l’air, avait foncé sur le nouvel intrus. Le calmer fut difficile, c’est donc à partir de ce jour là que fut décidé de sa nouvelle destinée, car on ne pouvait vraiment pas garder un volatile méchant et de surcroît pris de moments de folie. Et le coq, dont la seule qualité aurait été d’avoir sauvé le poulailler du renard fut condamné pour ce même exploit !
Sostène, quant à lui, remis de ses frayeurs, méditait dans son terrier sur la meilleure façon de parvenir à ses fins. Il préféra laisser passer un peu de temps, car il ignorait si on l’avait aperçu. Puis un jour, alléché par les odeurs que le vent du sud ne cessait de faire voyager jusqu’à ses narines, il retourna au village. Il s’en vint cette fois par le chemin bas afin d’avoir un aperçu du poulailler dans son ensemble. Et là, surprise, plus de coq ! Il attendit un moment craignant que le volatile ne se trouve à l’intérieur du cabanon, puis, l’appel par Raymonde des poules pour la distribution vespérale du grain lui confirma ce qu’il avait pressenti : la basse cour, privée de son plus féroce gardien, était désormais livrée à ses appétits ! Toutefois, pour ce soir, il était trop tard, Raymonde venait d’enfermer les poules pour la nuit.

***

Sostène s’en retourna donc chez lui le ventre encore creux, mais le cœur joyeux à l’idée que demain serait pour lui jour de festin. L’aube rosissait à peine les collines que notre Goupil était déjà sur le pied de guerre, ayant passé la nuit à échafauder toutes sortes de plans pour s’emparer de la poularde sur laquelle il avait jeté son dévolu. Car, grâce à une imagination aiguisée par la faim, la poule était devenue une grosse poularde aux cuisses charnues, aux filets tendres et rebondis, le ventre empli d’un chapelet d’œufs dont il sentait le jaune suave et doux couler dans son gosier. Il en salivait d’avance en trottinant dans le matin brumeux et sa langue mouillée de désir ne cessait de pourlécher ses babines. Il atteint ainsi sans s’en apercevoir les abords du village. Tout paraissait endormi ; il est vrai que le soleil venait à peine d’émerger de derrière la colline.

Les poules, à l’abri dans leur cabanon étanche devaient dormir, elles aussi. Raymonde ne leur ouvrirait que beaucoup plus tard, tant il est vrai que lorsque toute sa vie on a du se lever tôt pour aller travailler, on apprécie, à la retraite, les levers plus tardifs.
Sostène, dont l’estomac criait famine, dût patienter et pour ce faire se mit en quête de menu gibier afin de tromper sa faim. Il ratissa la Paro, et les champs de la plaine et dût se contenter d’un mulot et de trois sauterelles. Enfin son oreille sensible entendit le grincement de la porte : on ouvrait le cabanon !
En effet, comme tous les matins les poules heureuses de se dégourdir les pattes se mirent à caqueter-glousser en se précipitant sur les grains que d’un geste généreux Raymonde venait de leur lancer : 
« Petites, petites, petites ! Petites, petites, petites ! Et maintenant, allez, au travail ! Faites-moi de beaux et bons œufs ! »
Mais, Raymonde, au grand désarroi de Sostène, ne s’en retourna pas chez elle ; elle se mit à sarcler les allées du jardin qu’une pluie récente avait enherbées.
Et…ce dur labeur dura toute la matinée.
De temps à autre, notre jardinière s’arrêtait pour se reposer et d’un œil attendri regardait ses volailles gratter le sol en quête de vermisseaux ou bien guettait le chant glorieux des pondeuses.
Sostène, à l’abri dans les buis, rongeait son frein, en essayant de faire taire un estomac qui ne cessait de couiner.
Quand enfin Raymonde consentit à quitter les lieux, ce fut Charles qui vint vérifier la clôture qui lui avait paru branlante tout prés du cabanon ; n’ayant pas sur lui les outils nécessaires pour réparer comme il fallait cette brèche, qui, pensait-il, pourrait bien laisser passer un renard – sa grande expérience lui venait d’un long temps passé à la ferme alors qu’il était jeune – il s’en retourna les prendre dans son atelier.
C’était le moment où jamais, jugea Sostène qui s’apprêta à mettre à son profit le temps pendant lequel le poulailler allait demeurer sans surveillance.
Il se coula doucement jusqu’à la clôture, franchit cette dernière, parvint à l’angle du cabanon d’où il guetta la proie qu’il avait longuement choisie. Là, tapi et recroquevillé, il allait se mettre à bondir, quand, une violente douleur dans la cuisse gauche stoppa net son élan, le forçant même à laisser échapper malgré lui un jappement plaintif. – Une trop longue immobilité lui avait provoqué une crampe dont la douleur le paralysait –
Jeune poule rousse, dont la curiosité égalait les rondeurs, s’en vint voir ce qui avait produit le bruit. Sostène, l’accueillit en grognant et montrant les dents. Epouvantée, la donzelle, s’enfuit courant et caquetant à travers la basse cour les ailes déployées, mettant en émoi toutes ses compagnes.
Le raffut alerta Charles, qui se précipita pour tomber sur un Sosténe, tapi et hargneux prêt à l’attaque.
Cherchant autour de lui une arme pour se défendre, Charles se mit à crier : «  Au renard, au renard, Raymonde, Raymonde, le fusil ! »
Mais Raymonde, à l’intérieur, ignorant le danger que couraient ses volailles et ne l’imaginant même pas, n’entendait rien : Charles s’égosillait en vain !
En bas, dans l’arène, les ennemis se faisaient face ; l’un lançant des imprécations :
« Non de non de non de non, sai que tu ne vas pas m’échapper ! » Ponctués de «  Raymonde ! Raymonde ! Le fusil ! »
L’autre, recroquevillé au sol, les babines retroussées sur des dents jaunes et menaçantes, malgré les airs qu’il se donnait, n’en menait pas large !
Soudain, Sostène, au relâchement de ses muscles sentit que la crampe était passée, il effectua alors une marche arrière rampante qui laissa Charles stupéfait, pour franchir ensuite le grillage avec une telle rapidité qu’il y abandonna une grande touffe de poils et s’y déchira le flanc. Puis, meurtri, dépité et furieux, il prit par les champs et regagna son terrier.
Décidément, songeait Sostène du fond de sa tanière, tout en léchant sa plaie, il était bien trop vieux pour ce genre d’aventures ; de plus, son estomac qui s’était habitué depuis longtemps déjà à une alimentation frugale, aurait-il supporté la richesse plantureuse du festin qu’il s’apprêtait à célébrer ? Non, non, il n’y reviendrait pas, car, bien qu’il ne veuille pas tout à fait le reconnaître, il avait eu très peur.
Quant à Charles, remis de ses émotions et furieux d’avoir laissé échapper un renard qui, il en était sûr, reviendrait, s’en alla dire deux mots à Raymonde.
- Eh bien ! Tu n’as pas entendu que je te criais ? Le renard était dans le poulailler !
- Le renard ! Dans le poulailler !
- Si seulement j’avais eu le fusil !
- Et tu l’as laissé s’échapper !
- Comment voulais-tu que je fasse ? Tu voulais peut-être que je l’attrape par la queue ? Encore, si j’avais eu un bâton ! Mais rien, je n’avais rien !
Et Charles raconta à Raymonde toute émue, son face à face avec le renard, et la rapidité avec laquelle maître goupil avait fui.
Quelque bouleversée qu’elle ait été, à la pensée que ses chères poulettes auraient pu finir dans le ventre du renard, Raymonde, se reprit bien vite, et avec l’esprit pratique qui la caractérisait, déclara :
- Eh bien ! Il ne nous reste plus qu’à rendre la clôture infranchissable.

***

C’est ce qui fut fait.  Supputant toutes les ruses qu’un renard roué peut avoir, on essaya de les contrecarrer : le grillage fut fixé sur des fondations en béton coulé dans une tranchée, afin d’empêcher notre chapardeur de pénétrer dans le poulailler en creusant le sol ; cette robuste clôture enserra même le cabanon, de sorte que tout l’enclos fut assuré de posséder sur son entier pourtour une barrière garantie infranchissable, même pour le plus diabolique des renards ! Une solide porte susceptible d’être cadenassée, si besoin était, termina l’ouvrage, et Raymonde s’estima à nouveau confiante en l’avenir, au point qu’elle refusa toute proposition suggérant l’apport d’un nouveau coq pour garder ses volailles : un seul chante clair lui avait suffi !
De fait, la clôture s’avéra efficace : aucun goupil ne parvint jamais plus à la franchir. Toutefois, lorsqu’en été, en raison d’un orage, l’herbe du pré qui jouxte le poulailler, se met à pointer vers le ciel des brins d’herbes d’un vert tendre, Raymonde, en âme compatissante, consent à lâcher dans le pré pour un temps rajeuni, ses poules en manque de verdure.
Seulement, elle est là qui veille, telle la gardeuse d’oies, armée d’une longue baguette de noisetier, afin que nulle ne s’éloigne trop et ne serve de repas au renard, qui, elle en est sûre, n’est pas loin et guette.
A dire vrai, elle veille aussi à ce que les poulettes n’aillent s’égarer dans le potager où dieu seul sait quel ravage elles pourraient accomplir !
Elle ne sait pas, comme je le sais, que ses craintes ne sont nullement fondées : Sostène, sentant sa fin proche, et voulant expier une vie de péchés, retiré dans son domaine du Roube, mène une vie de saint ermite.
Quant à ses volailles, elles préfèrent mille fois l’herbe verte du causse à toutes les salades de potager .
Alors se sentant en sécurité et bien nourries, elles ont décidé de battre tous les records de productions et gratifient quotidiennement leur propriétaire du fruit régulier de leur ponte.
Et tout le village en est ravi, car, grâce à la générosité de Raymonde, tout le monde a pu une fois ou une autre apprécier la saveur incomparable des œufs de son poulailler.

Chère Raymonde, Cher Charles,

Me souvenant que vous avez, à ma grande joie, réintroduit les poules à Soulagets, et gardant en mémoire les quelques péripéties qui ont suivi cette installation, j’ai voulu en écrire une sorte de fabliau, en espérant que vous ne me tiendrez pas rigueur de vous avoir mis en scène. Mon propos étant de refaire vivre les évènements simples et pourtant heureux d’un petit village où il fait si bon vivre. Bien sûr, ma fantaisie, et mon penchant à voir le côté humoristique des choses, me portent à transcrire un peu la réalité, ne m’en tenez pas rigueur, car il n’y a de ma part aucune mauvaise intention. Il va de soi que si un jour ces textes étaient publiés, et vous ne désiriez pas que vos noms apparaissent, je ferai les transformations nécessaires. En attendant, et en toute amitié, je vous dédie cette fable. Amicalement à vous.

Michèle Puel Benoit

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